J’avais toujours besoin de modèles. Je ne pouvais évidemment pas me permettre de les payer et j’en étais réduit à me contenter du peu de temps que l’on m’offrait.
Mais cette fois c’était différent. Elle avait toqué timidement à la porte de l’atelier. On lui avait vanté mon talent avait-elle dit. Nul doute qu’on s’était moqué d’elle et de sa naïveté. Dès que je la vis, je sus. Elle dégageait cette candeur innocente propre à son âge et pourtant son corps avait déjà l’incandescence animale de la femme qu’elle devenait. J’avais rêvé de ce « premier secret » et voilà que son incarnation se tenait devant moi.
Je la laissais errer dans mon antre, au milieu des pièces à demi achevées, étudiant tous ses gestes, tout ce qui faisait d’elle une Vénus en train de prendre chair. Elle semblait inconsciente de mon regard posé sur elle ou plutôt elle ne s’en souciait pas.
Je lui expliquais simplement comment j’allais travailler avec elle et elle accepta d’un geste doux de la tête. Je lui indiquais l’estrade où se trouvait le buste de Vénus à demi fini et elle y monta, semant derrière elle ses vêtements avec un abandon qui me fit fondre. Je fermais les yeux.
Elle était toujours là lorsque je les rouvris, rêve fou de sculpteur, se tenait sur la pointe des pieds pour scruter le buste de plus près. M’approchant lentement, comme pour ne pas effrayer une biche farouche, je tendis la main vers sa peau de lait. Doucement je laissais mes doigts effleurer ses mollets. Elle se figea mais je la sentais frémir. Je laissais ma main remonter doucement, dessinant le contour des cuisses fines, des hanches rondes. Mes doigts admiraient en silence le méplat arrondi du ventre et le creux du nombril, faisaient connaissance avec les courbes délicates du dos et la complexe et fascinante mécanique de l’épaule. Un doigt courant sur la clavicule et remontant vers l’oreille lui arracha un soupir. Son visage rosi était extatique. Rassemblant ses cheveux dénoués dans mon poing, je lui fis lever la tête et poursuivit mon exploration de ses traits délicats, résistant à la tentation d’utiliser, pour explorer ses reliefs, mes lèvres, ma langue, tout mon corps.
Je laissais mes caresses se faire plus douces et m’éloignais, la laissant dans cette pose ingénue, semblant parler au buste impassible. Je pris une motte de glaise et eus vite fait de reproduire sa forme ensorcelante dans la terre humide. Mes mains encore pleines du souvenir de ses creux et de ses seins travaillaient sans effort. J’avais fermé les yeux. Lorsque je revins à moi, elle n’avait pas bougé, déesse de chair incarnée, vivante et chaude. Puis elle tendit sa main vers moi et ce fut mon âme qu’elle sculpta.
Elle ne revint jamais mais sa visite fut pour moi un univers en soi, un grain d’éternité, condensé, confié au marbre dur. Ainsi son souvenir survivra aux siècles, éternelle première fois.
Écrit au Louvre, en compagnie du dessinateur, ❤️Saba-chan