C’est pas beau de réclamer

C’est pas beau de réclamer. Que répondre à ça ? Que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde ? Que les caprices c’est pas terrible mais qu’il faut bien apprendre à exprimer ses besoins sans quoi on n’obtient jamais rien ? Que cette petite phrase a failli avoir ma peau et m’a seulement appris à accepter passivement la volonté des autres, au mépris de tout ce que je suis ? 


J’ai sept ans et à l’école, je n’ai même pas remarqué que certains enfants sont plus populaires que d’autres. Il y en a que j’aime bien et d’autres que j’évite. Je suis bien loin de m’inquiéter de ce que je porte, sauf que je commence à ne pas trop aimer les jupes à cause des garçons. J’aime le bleu et la lecture, les jeux de construction et la nature. Aujourd’hui, maman m’emmène faire les courses.

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Une belle journée pour mourir

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– Bonjour Madame.
La formule de politesse me serre la gorge. La journée s’annonce tendue.

– C’est elle qui a fait tous les gnons dans la carrosserie. Madame sait pas conduire.
La remarque sexiste creuse un sillon acide sur ma peau, s’insinue dans mes tripes, me dévaste le ventre.

Je veux m’enfuir en courant, retrouver ces heures douces où personne ne riait de mes compétences, où personne ne superposait de filtre déformant sur qui je suis vraiment. Déformer ma silhouette reforme vos perceptions et vous dites que ce est moi qui ne suis pas normal ? Que je n’existe pas parce que je fais partie d’une minorité que vous ne voulez pas vous donner la peine de comprendre ?

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Ces messieurs s’en vont

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En sortant de la petite boutique où je venais d’acheter le précieux bout de tissu, j’étais nerveux. Je cherchais l’étonnement des passants, les yeux perplexes qui dévisagent. Le dégoût peut-être, l’agressivité. Il y avait du monde sur les trottoirs parisiens en cette chaude journée de juillet mais ma présence n’attirait pas les regards, je n’étais qu’un anonyme de plus parmi les touristes.

Je pris confiance, observant les gens plus franchement mais personne ne me regardait deux fois. J’étais invisible et pourtant les gens réagissaient à mon passage de façon subtile, s’écartant pour me céder le passage. Je m’aperçus que j’avais adopté une attitude plus assurée, le torse bombé. J’avançais sur le trottoir la bite en avant, comme je l’avais lu une fois crûment formulé. La sensation était grisante.

Installé en terrasse avec Auguste, je découvris ses dernières esquisses, réalisées pendant son séjour à l’étranger. Il n’était là que pour quelques heures et nous n’osions pas nous toucher, la longue séparation avait modifié nos relations et soudain nous ne savions plus comment nous comporter.

Près de nous, un italien découvrait la cuisine française avec hésitation. Avant de partir, il se tourna vers nous, compliments à la bouche pour la beauté des dessins. Ce n’est qu’après son départ que je fus frappé par le naturel de la conversation, anodine et banale.

Nous nous apprêtions à partir à notre tour lorsque quelqu’un nous interpella, agressif, mais deux hommes installés à proximité s’interposèrent.

– Ces messieurs s’en vont.

Je n’avais pas compris quelle querelle ce type nous cherchait mais le commentaire des deux hommes me frappa comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Ces messieurs s’en vont. Dans leur ton, aucune ironie, aucune question, aucun doute. Ces messieurs s’en vont. « Ils partent, » ajoutèrent-ils. Ce simple « ils » me mis les larmes aux yeux. Un commentaire doux-amer me vint à l’esprit, Un garçon, ça pleure pas…

Un garçon ça fait du bruit, ça ne s’excuse pas d’exister, ça ne montre pas son affection en public, ça n’embrasse pas un autre garçon à pleine bouche.

Mais je ne suis pas un garçon et j’embrasse enfin Auguste, le serrant contre moi sur le quai du métro qui l’emmène loin de moi.

Toute l’après-midi j’ai continué à scruter les regards, attendant le couperet, le perspicace qui dévoilera la supercherie. En vain. Ce simple bout de tissu qui comprime ma poitrine de femme est une cape d’invisibilité. Je m’approprie avec ivresse le pouvoir qu’on me cède sans hésiter, m’étalant sur les bancs en écartant bras et jambes, m’imposant sur les trottoirs, dévisageant les femmes. Je n’ai jamais passé d’aussi belles heures, en pleine foule, dans la touffeur moite de Paris, l’été. Les regards posés sur moi ont subtilement changé et soudain le monde m’appartient.

Balance ton porc

D’habitude je ne suis pas l’actualité. Mais là, j’ai eu un choc.

Ce ne sont pas quelques militantes ou personnalités qui prennent la parole mais toutes les femmes qui osent enfin nommer leurs agresseurs, des hommes qui se sont permis de les toucher contre leur volonté, qui les ont violées, parce que des siècles d’obscurantisme ont ancré dans les mentalités que la femme est un objet qui appartient à l’homme.

On est très loin d’avoir résolu le problème mais le premier pas est fait, le plus important, le plus difficile, celui d’admettre qu’il y a un problème et d’en parler. Refermer le couvercle et cacher toute cette souffrance dans l’ombre n’est désormais plus possible et je suis profondément émue et touchée d’être témoin de ce changement radical dans l’histoire.

Je ne connais pas une seule femme parmi mes amies qui n’ait subi ce type de comportement à un degré ou à un autre et je ne suis malheureusement pas une exception.

Savoir et comprendre sont deux choses bien différentes et savoir que ce que l’on a vécu n’est pas normal ne signifie pas nécessairement que l’on a entièrement conscience de ce qui s’est passé. C’est ce qui change aujourd’hui, pour les victimes comme pour leurs agresseurs et c’est une très bonne chose.

Mais ça, c’est après, lorsqu’on peut prendre le temps de réfléchir. Sur le moment, l’évolution nous a programmé.es pour réagir à une agression de trois manières possibles : le combat, la fuite ou la sidération.

On pourrait débattre de l’opportunité de chaque réaction et de leur efficacité mais la vérité est que l’on n’a pas le choix, ces réponses sont instinctives et ne peuvent pas être maîtrisées (à moins peut-être d’être un maître yogi version ninja).

Problème, la sidération est interprétée avec plus ou moins de mauvaise foi comme un consentement, ce qu’elle n’est pas, raison pour laquelle je milite pour que le consentement soit actif.

Autrement dit, si je n’ai pas dit oui, c’est non. Peut-être, c’est non. Je sais pas, c’est non. Et quand je dis non, j’attends que l’on respecte mon choix parce que oui, j’ai le droit de prendre les décisions qui me concernent et non, personne n’a le droit de décider à ma place, que ce soit l’usage que je fais de mon corps, les vêtements que je porte ou les gens que je fréquente.


Je ne veux pas rentrer trop dans les détails, je dirai juste que moi aussi j’ai eu affaire à un porc qui m’a traitée comme un objet. Ce jour-là, dire non n’a pas suffit, me débattre n’a pas suffit. Mon agresseur s’est arrêté quand j’ai arrêté de me débattre et que j’ai fait la morte, avec ce commentaire qui veut tout dire « T’es pas marrante ». Faut croire qu’on n’avait pas le même humour. Et le pire c’est que j’ai eu beau cesser de le voir après ça, et trouver que ça n’est pas normal, il ne m’est jamais venu à l’esprit que j’avais subi une agression et que j’aurai pu porter plainte. Et pourtant je vois des cas semblables au boulot régulièrement.

L’histoire ne s’arrête pas là, car ce porc là se trouvait être le père de mon enfant à naître, chose que j’ignorais à ce moment là. J’ai pris seule la décision de ne pas garder ce bébé et je ne peux pas dire que l’accueil reçu à l’hôpital ait été exemplaire. L’impression de déshumanisation me reste encore comme un malaise plus d’une décennie après, celle de n’avoir été qu’un numéro sur une liste d’opérations à accomplir avant midi, l’impossibilité de discuter avec qui que soit du corps médical et de poser les questions qui se bousculaient dans ma tête. Certaines de ces questions continuent encore de me hanter aujourd’hui car elles sont toujours sans réponses.


Je m’égare ? Je ne pense pas car ce que je veux défendre ici, c’est le droit des femmes à disposer d’elles-même. Et ne me lancez surtout pas dans un débat sur les conditions dans lesquelles les mères accouchent, je vais m’énerver.

Aujourd’hui enfin la parole se libère, avec parfois autant de violence qu’elle a été réprimée. Mais au delà des agressions qui sont punies par la loi, il y a aussi toute la violence ordinaire des injonctions de la bienséance qui veut par exemple qu’on se fasse la bise pour dire bonjour. J’ai mis 15 ans à avoir le courage de dire à mes collègues que non, je ne veux pas leur faire la bise. Et je n’ose toujours pas leur dire que si je pouvais, je ne les toucherais pas du tout parce que déjà en refusant de faire la bise je passe pour une asociale.

Au passage ça m’éviterait de me faire broyer la main par les victimes d’un complexe d’infériorité qui croient que c’est viril d’écraser les doigts des gens et ça me permettrait peut-être de porter mes bijoux sans qu’ils me cisaillent les doigts.

Le respect de soi, de son corps, de ses choix et de celui de l’autre, ça commence dès la petite enfance. Ca commence en apprenant aux enfants qu’ils ont le droit de ne pas faire la bise s’ils n’ont pas envie – mais que dire bonjour c’est nécessaire. En arrêtant de les chatouiller quand ils vous supplient d’arrêter. Et jusqu’à accepter qu’ils ne veuillent pas manger telle chose qui les dégoûte, parce que même si en tant qu’adulte vous savez ce dont ils ont besoin, ils ont aussi besoin d’apprendre à écouter leur corps et ses besoins et que leur inculquer que c’est l’adulte qui décide ce qui doit pénétrer leur corps ne me semble pas une très bonne idée.

Respecter les décisions de l’autre, ça n’est pas toujours facile mais ça s’apprend. Respecter l’autre exige une étape supplémentaire, celle de lui permettre d’effectuer un choix éclairé, en ayant connaissance des tenants et des aboutissants. Il y a là des progrès immenses à accomplir dans tous les domaines et pas seulement en ce qui concerne les agressions sexuelles.

Respecter l’autre, c’est une idée proprement révolutionnaire car cela signifie la fin du secret. La fin de l’adultère. La fin de cette culture paternaliste qui permet à quelques un de décider pour tous sous prétexte que l’on sait mieux, que les électeurs sont des cons, qu’il est vital de garder le secret.

Hé, les gens, j’ai un scoop ! Le secret tue !

Le secret, c’est celui qui permet à l’agresseur de s’en sortir, parce qu’une victime silencieuse n’existe pas. C’est vrai pour les agressions sexuelles, c’est vrai pour les politiques qui cachent leurs notes de frais, c’est vrai dans tous les domaines. Lorsque nous seront libérés de la culture du secret et que nous serons pour de vrai une société de la parole, l’humanité aura enfin grandit.

En attendant, je continuerai à l’ouvrir et à déconstruire les expressions toutes faites comme celle-ci qui nous fait tant de mal :

Qui ne dit mot consent

Fragments d’un discours polyamoureux

Je n’ai pas l’habitude de critiquer vertement mais cet ouvrage est un tel abîme de nullité que je ne peux décemment pas vous encourager à le lire, fut-ce par mon silence. Je vous propose de commencer par lire ensemble la présentation de l’éditeur :

Comment déjouer les échecs de la vie conjugale ? Comment faire de la vie de couple une relation harmonieuse et durable ? Un témoignage qui propose une nouvelle façon de vivre les échanges amoureux.
Face à l’échec du mariage, il est temps de réfléchir à de nouvelles façons de vivre le couple.
En plein essor en France et en Europe, le polyamour peut être une solution.
Le polyamour n’est ni libertinage, ni aventure d’un soir : c’est l’art d’aimer plusieurs personnes à la fois, de manière libre, respectueuse et assumée.
Comment sait-on que l’on est polyamoureux ?
Quand et comment le devient-on ?
Comment fait-on pour gérer la jalousie entre les partenaires ?
Autant de questions que la sexologue Magali Croset-Calisto aborde à travers un témoignage de vie moderne et audacieux construit tant à partir de son vécu de femme que de son expertise en cabinet de consultations. Car quoi de mieux que l’expérience personnelle et l’approche professionnelle d’une sexologue pour évoquer en toute intimité les différents enjeux de l’amour et de la sexualité dans notre société ?

Ça, c’est ce qu’on essaie de nous vendre. Je l’ai lu tout en entier, avec beaucoup de difficulté et une impatience croissante. Continue reading « Fragments d’un discours polyamoureux »

Solitude

Une réflexion qui marine dans ma caboche depuis des mois et qui accepte enfin de naître en mots sur la page blanche.

Mieux vaut être seul que mal accompagné.

Honnêtement, je ne saurai juger. Tout dépend de ce que l’on recherche, dans la vie en général et dans une relation en particulier.

Un polyamoureux m’a dit :

Être seul n’est pas bon. Être avec quelqu’un uniquement pour ne pas être seul est pire. Trouver ceux dont on veut être proche, avoir avec eux des relations fortes et ne pas être défini par elles devrait être le but à atteindre. Tout ce qui dure plus d’une nuit contient le début d’une amitié. Les autres facteurs incluent : intimité émotionnelle, compatibilité intellectuelle, intérêts partagés, romance et attirance sexuelle mutuelle. N’importe quelle combinaison de ces facteurs peut créer une forme ou une autre de relation. Certaines incluent la sexualité, d’autres pas. Le véritable amour les contient tous.

J’y ai beaucoup réfléchi. Je me suis interrogée sur le choix des facteurs. Sur l’affirmation de ce qu’est un véritable amour. Sur la présupposition qu’une telle chose existe. Et j’ai tout envoyé au diable de vauvert. Continue reading « Solitude »

La chose publique

J’étais en train de regarder un film l’autre jour, quand l’un des protagonistes a envoyé une réplique cinglante à l’autre, laissant entendre que faire de la politique signifiait prendre des décisions difficiles, des décisions qui changent la vie des gens ou qui peuvent la leur ôter. Le message étant que prendre ces décisions n’est pas pour les petites natures, non non, ce fardeau est celui d’une élite qui sacrifie son bien-être et sa tranquillité d’esprit pour que le peuple soit sauvé sans avoir à s’inquiéter de rien. Continue reading « La chose publique »

Le silence est d’or

J’aimerai bien savoir d’où viennent ces expressions de « sagesse populaire » qui nous formatent le cerveau. Je sais moi qui me les a transmises et je me bats presque quotidiennement contre cette petite voix, souvenir familier, qui me serine sa « sagesse ». Aujourd’hui, j’accuse « la parole est d’argent mais le silence est d’or ».

A première vue (dont j’ai ample provision, de même que de second degré), à première vue donc, c’est très beau. Profond même. On s’en sert fréquemment pour faire taire les gens qu’on n’a pas envie d’entendre – surtout les enfants j’ai remarqué – mais ce qui compte vraiment c’est que ça a l’air hyper profond non ? Moi j’ai des amis qui y croient en tous cas alors ça peut pas être si problématique. En fait ils y croient tellement qu’ils disent jamais trop grand chose. Surtout quand ça va pas. Parce que c’est bien connu que se réfugier dans un silence blessé c’est tellement efficace pour résoudre ses problèmes

Bon, il va bien voir que ça va pas, s’il réagit pas c’est qu’il n’en a vraiment rien à faire de moi… Pourquoi il réagit pas ?

Ben soit il s’est rendu compte de rien, soit il sait que ses questions n’obtiendront pour toute réponse qu’un silence d’or… et il est déjà découragé soit il n’en a effectivement rien à cirer. Mais bon, tu sauras pas puisque tu discuteras jamais du problème.

Alors non, décidément, cette expression là, je l’aime pas, je suis pas d’accord et je le dis. Parce que se taire ne donne raison qu’aux oppresseurs de toutes sortes, surtout à ceux qu’on se traîne en bagage dans nos pauvres têtes, selon le principe bien connu « qui ne dit mot consent », principe que je vais par ailleurs prochainement réfuter.

Et puis de toutes façons, j’ai toujours préféré l’argent.