Un classique

This entry is part 16 of 22 in the series Albert

Pas de grande invention ces jours-ci mais du très classique, toujours bon à réentendre :

Albert : Si ce serait facile, tout le monde le ferait.

[itg-tooltip qtiptrigger= »responsive » tooltip-content= »<p>Je dis ça souvent à propos d’Albert non ? Comme quoi c’est (pas) que des conneries…</p> »]CQFD[/itg-tooltip]

Errance

lefuel
Escalier Lefuel, le Louvre

Je m’accrochais à mon épée comme un noyé à sa planche. Je n’avais plus conscience que de mon poing, serré autour de la garde jusqu’à la crampe. Le mouvement machinal de mes pieds se poursuivait obstinément, l’un devant l’autre, l’un après l’autre et ne parvenait plus à mon cerveau abruti de fatigue qu’à travers le pic aigu de douleur au moment où le membre meurtri heurtait le sol. Avais-je seulement encore les yeux ouverts ? Je longeais le mur du couloir en tâtonnant dans la lumière surnaturelle. Je longeais le mur du couloir en tâtonnant. Je longeais le mur. Où étais le mur ? Emportée par mon inertie exténuée, je ne posais pas le pied sur le sol. Mon autre jambe entama un nouveau pas comme si la première reposait sur une surface solide et je chutais lourdement dans le fracas du métal heurtant la pierre.

Silence. Continue reading « Errance »

Carambar

Pour une fois je vais jouer la facilité, non pas que je trouve la blague spécialement drôle mais je me sens concernée… 

Le comble de la sorcière ? Avoir des doigts de fée… 

Et pourquoi pas manger de la baguette ? Et puis qu’est-ce que c’est que cette vision binaire de la méchante sorcière et de la gentille fée qu’on nous sert habituellement ? Je m’insurge ! Et je revendique : je suis une sorcière, j’en suis fière. Une sorcière, c’est une petite maline dotée de première vue, de second degré et d’un bout de ficelle, je le rappelle. J’ai même les grimoires (la version moderne électronique), les potions (ne me lancez pas sur le sujet des huiles essentielles) et le chat noir chien blanc (flûte, disons que c’est pour camoufler un peu). 

Les fées ne sont que des sorcières ratées douées pour la communication : comme d’habitude les grandes gueules incompétentes tiennent le haut du pavé pendant que c’est bibi qui fait le vrai boulot. Ainsi va le monde. 

Figure-De-Proue

Au commencement fut la vitesse, la pure jouissance du vent sous mes ailes. 

Je me réaccoutumais sans heurts à chevaucher la bécane puissante, ressentant chaque accélération dans mes os, resserrant instinctivement mes cuisses autour du conducteur, cherchant encore la meilleure prise pour mes bras.

J’ancrais mes serres puissantes sur ma monture, une étreinte solide et inébranlable. Ma queue mélusine, serpentine, se lovait à sa place habituelle, kundalini secrète au sein du ventre de Figure-De-Proue. Je tendis mon cou vers le zénith et glapis du pur plaisir de la course. 

L’intense joie animale de la vitesse m’envahit. Je serrais mes bras autour de l’homme devant moi, me laissant emporter sur la rivière de bitume, dans l’éternel instant sensuel et le bloc chaleureux de confiance. Tout mon corps tendu pour la course, je respirais les odeurs chaudes des champs. Loin à gauche, un renard à l’arrêt attira mon œil et resta sur place, distancé par la symphonie vrombissante du moteur. Je sentais mon ventre s’émouvoir au rythme de l’accélérateur et retenais à peine un cri de plaisir animal à mes lèvres silencieuses.

J’ouvris grand mes ailes et le vent me souleva d’un coup. Je planais un moment au dessus de Figure-De-Proue. Paresseuse au soleil, j’arrachais négligemment quelques feuilles à la canopée. Je sentis la surprise de Figure-De-Proue ‘Tu es végétarienne ?’ Amusée, je m’évadais dans la forêt.

Je la sentais s’ébattre dans la mer végétale, jouer avec le vent et se gorger de soleil. J’aspirais avec délices les senteurs du sous-bois humide, mousse et champignons, reçus la brève ondée de bon gré et découvris enfin le cœur médiéval du village. Comme toujours la vue de maisons pluricentenaires envoya tournoyer dans mon cerveau des images de ceux qui y avaient vécu, aimé et y étaient morts. La rivière, impermanence éternelle, étalait sa langueur en bras et canaux, bassins et chutes, déserts en cette fin d’été parsemée de pluie. Je cherchais la vouivre mais elle dissimulais sa présence, magicienne rouée. Ce n’est que lorsque je fus seule qu’elle se révéla enfin, béate créature, triple fantasque, émergeant de l’onde profonde sans y laisser une ride. Son corps mordoré se fondait dans l’arrière plan de vase et d’algues, les reflets de son feu intérieur dans l’éclat du couchant, ses ailes réduites à de fines nageoires, seul la trahissait son œil bleu glacier. J’admirais l’abandon de sa nature sauvage, la magie qui sourdait de sa seule présence, observant ses mouvements dont la fluidité se jouait et de l’eau et du vent.

J’étais émerveillée de sa beauté sauvage, puissante. C’était la première fois que je pouvais l’admirer vraiment et je la trouvais magnifique. Je détournais un instant les yeux du spectacle fabuleux et elle en profita pour s’éclipser. Dans ma tête toujours une interrogation : ‘Quel est ton nom ?’

Je suis toi, trois fois toi, eau, air, feu, béate bête triple, Béatrice…

M’éloignant du village, je vis niché en creux, la pointe d’un vieux clocher. Autour s’enroulait, queue de serpent, et au dessus battait, ailes au vent, la fière béate trine, éclatante mélusine.


Écrit à Moret-sur-Loing… avec pour muse, une Ducati 800cc

Douves, Louvre et Vouivre

Nous sommes venus un peu tard et j’ai envie de voir les sous-sols du musée pour une fois, alors nous n’écrirons sans doute pas comme nous en avons pris l’habitude. Mon guide m’entraîne vers une salle où sont visibles les fondations du château, celui du Moyen-Âge. A peine entrée dans cette salle des Douves, je me sens mal à l’aise. Serait-ce encore ma claustrophobie intermittente qui me joue des tours ? Mais le plafond est au moins à 10 mètres et on ne peut pas dire que les murs soient oppressants.

Continue reading « Douves, Louvre et Vouivre »

Bindi : Oh-Ophelia…

Je sentis mon esprit s’ouvrir d’un seul coup. L’axe qui me traversait du sommet du crâne aux talons s’enfonçait dans la terre, dans les sombres profondeurs minérales et s’élançait dans les cieux et la noirceur déserte entre les soleils.
Mon regard embrassait le monde et rien de ce qui s’y passait ne m’était caché, de l’insignifiant lombric qui creusait la terre au puissant souverain murmurant un secret à sa maîtresse et jusqu’aux raisons de l’errance des astres. Tout cela devint mon être et s’étendit encore. Il n’y eut plus de « je » mais seulement pure conscience d’être. Conscience franchit un seuil et le temps disparut. Tous les instants de tous les lombrics de l’univers lui furent accessibles.

1903, 15 octobre.
2 passage Vérité, Paris, petit boudoir au premier étage.

Marcus avait toqué plusieurs fois à la porte sans avoir de réponse. Inquiet, il finit par entrer. Ophélia était là, endormie. Pâle. Inerte. Il se précipita et vit qu’elle avait le Livre, ouvert, dans sa main déjà froide comme la pierre. Entre ses yeux grands ouverts, une ride à la forme étrange s’estompait rapidement. Marcus prit le Livre et le remit dans sa boîte cadenassée. Son maître avait eu raison de le mettre en garde et Ophélia avait été sotte de ne pas écouter. Accablé, il la recouvrit et pleura.

Conscience pleura avec lui et rit, s’affligea et se réjouit.

Cela fut, ce sera, l’histoire d’Ophélia qui s’arrête comme ça.


Avec cette ritournelle dans la tête, Oh-O-phe-lia…

Oh, Ophelia, you’ve been on my mind girl since the flood
Oh, Ophelia, heaven help a fool who falls in love


Écrit au Louvre, avec ❤️Saba qui a (!!) dessiné autre chose pendant ce temps-là.

Le premier secret

This entry is part 2 of 2 in the series Les secrets
Le premier secret confié à Vénus, François Jouffroy

J’avais toujours besoin de modèles. Je ne pouvais évidemment pas me permettre de les payer et j’en étais réduit à me contenter du peu de temps que l’on m’offrait.

Mais cette fois c’était différent. Elle avait toqué timidement à la porte de l’atelier. On lui avait vanté mon talent avait-elle dit. Nul doute qu’on s’était moqué d’elle et de sa naïveté. Dès que je la vis, je sus. Elle dégageait cette candeur innocente propre à son âge et pourtant son corps avait déjà l’incandescence animale de la femme qu’elle devenait. J’avais rêvé de ce « premier secret » et voilà que son incarnation se tenait devant moi.

Je la laissais errer dans mon antre, au milieu des pièces à demi achevées, étudiant tous ses gestes, tout ce qui faisait d’elle une Vénus en train de prendre chair. Elle semblait inconsciente de mon regard posé sur elle ou plutôt elle ne s’en souciait pas.

Je lui expliquais simplement comment j’allais travailler avec elle et elle accepta d’un geste doux de la tête. Je lui indiquais l’estrade où se trouvait le buste de Vénus à demi fini et elle y monta, semant derrière elle ses vêtements avec un abandon qui me fit fondre. Je fermais les yeux.

Elle était toujours là lorsque je les rouvris, rêve fou de sculpteur, se tenait sur la pointe des pieds pour scruter le buste de plus près. M’approchant lentement, comme pour ne pas effrayer une biche farouche, je tendis la main vers sa peau de lait. Doucement je laissais mes doigts effleurer ses mollets. Elle se figea mais je la sentais frémir. Je laissais ma main remonter doucement, dessinant le contour des cuisses fines, des hanches rondes. Mes doigts admiraient en silence le méplat arrondi du ventre et le creux du nombril, faisaient connaissance avec les courbes délicates du dos et la complexe et fascinante mécanique de l’épaule. Un doigt courant sur la clavicule et remontant vers l’oreille lui arracha un soupir. Son visage rosi était extatique. Rassemblant ses cheveux dénoués dans mon poing, je lui fis lever la tête et poursuivit mon exploration de ses traits délicats, résistant à la tentation d’utiliser, pour explorer ses reliefs, mes lèvres, ma langue, tout mon corps.

Je laissais mes caresses se faire plus douces et m’éloignais, la laissant dans cette pose ingénue, semblant parler au buste impassible. Je pris une motte de glaise et eus vite fait de reproduire sa forme ensorcelante dans la terre humide. Mes mains encore pleines du souvenir de ses creux et de ses seins travaillaient sans effort. J’avais fermé les yeux. Lorsque je revins à moi, elle n’avait pas bougé, déesse de chair incarnée, vivante et chaude. Puis elle tendit sa main vers moi et ce fut mon âme qu’elle sculpta.

Elle ne revint jamais mais sa visite fut pour moi un univers en soi, un grain d’éternité, condensé, confié au marbre dur. Ainsi son souvenir survivra aux siècles, éternelle première fois.

Dessin au bic par Saba-chan

Écrit au Louvre, en compagnie du dessinateur, ❤️Saba-chan

Le secret d’en haut