C’est pas beau de réclamer. Que répondre à ça ? Que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde ? Que les caprices c’est pas terrible mais qu’il faut bien apprendre à exprimer ses besoins sans quoi on n’obtient jamais rien ? Que cette petite phrase a failli avoir ma peau et m’a seulement appris à accepter passivement la volonté des autres, au mépris de tout ce que je suis ?
J’ai sept ans et à l’école, je n’ai même pas remarqué que certains enfants sont plus populaires que d’autres. Il y en a que j’aime bien et d’autres que j’évite. Je suis bien loin de m’inquiéter de ce que je porte, sauf que je commence à ne pas trop aimer les jupes à cause des garçons. J’aime le bleu et la lecture, les jeux de construction et la nature. Aujourd’hui, maman m’emmène faire les courses.
Je n’arrête pas de grandir et j’ai besoin de nouvelles chaussures. Je m’occupe comme je peux dans les rayons de ce magasin que je ne trouve pas très intéressant. Il n’y a que des vêtements de vieux. Pas des vieux de vingt ans non non, des vrais vieux, des qui portent des charentaises et des blouses en liberty triste. D’un seul coup, quelque chose attire mon regard. Un pull, beige foncé, avec un dessin rigolo de singe dessus. Je tire la manche de maman…
» – Maman? Maman! Maaaaamaaaaan…
– Quoi ?
– Je veux ce pull là… »
Sa réponse est toujours gravée dans ma mémoire trente ans plus tard. Je n’ai jamais plus « réclamé ». Je n’ai jamais dit à personne ce dont j’avais besoin non plus. Je me suis débrouillée seule et j’ai enfoui mes envies, mes désirs, mes besoins, loin loin loin, là où je ne serai pas tentée d’en parler, là où personne ne pourrait dire que ça n’avait pas d’importance.
Depuis pourtant j’ai fait du chemin. Un dur chemin. J’ai appris à parler, à écrire aussi. J’ai appris le langage de mon corps, quelles douleurs apparaissent pour quelles raisons et sur mon dos crispé, la carte des émotions. Petit à petit se révèle mon paysage intérieur, peuplé de loups et de chimères, imaginations bienveillantes de ma quête incessante. Depuis cette décision, un beau matin de mes vingt-cinq ans, « d’aller mieux », je suis allée de découverte en découverte et petits bouts par petits bouts, je reconquiers mon individualité, ma force, sans jamais rien lâcher, tenace. Moi qui me suis longtemps crue sans volonté, je découvre avec stupeur, me retournant aujourd’hui sur le chemin parcouru, la force qu’il m’a fallu pour franchir tous les obstacles. Ce chemin qui est par nature solitaire, je ne l’ai pourtant pas fait seule, accompagnée à chaque bout par ma famille de cœur, celle que je me suis choisie, ma meute inébranlable. Planctoune, Kitsune, Rise, Marco, Jibi, Jacqueline, Katy, Oasis et tant d’autre ont été là, au bout de mes doigts sur le clavier, près de mon oreille et toujours dans mon cœur, souvent à des heures impensables lorsque l’angoisse m’empêche de dormir. Merci ne couvre pas la moitié de la gratitude que j’éprouve pour votre présence, je vous aime.
Au fil du temps, j’ai appris les mots pour dire d’abord, puis ceux pour demander. J’ai appris la confiance et que l’amour se multiplie sans jamais tarir. J’ai appris à profiter des petits bonheurs sans m’inquiéter de demain, à savourer le goût des croissants sous le pâle soleil parisien et d’un dernier câlin avant de s’endormir sereins.
Hier, enfin un dernier mystère qui se révèle, un nouveau monde à explorer qui s’ouvre, plein de promesses et d’exubérance. Une autre clé me révèle à moi-même, pas la dernière j’espère car ce chemin si ardu, on y prend goût !
Aujourd’hui c’est une nouvelle étape qui commence, une nouvelle vie j’espère. Un projet formé il y a longtemps qui enfin prends corps. Toujours au service de l’autre, comme j’en ai fait la promesse il y a déjà vingt ans, le jour de ma confirmation, mais différemment, au plus près du corps.
Et demain? On verra bien. Aujourd’hui, j’ai 37 ans et ma vie m’appartient. Enfin.