Anne posa ses mains sur l’enfant devant elle. Celui-ci était particulièrement laid, le visage déformé par l’infirmité qui lui tordait le cou. La mère se tenait tout près, récitant son chapelet à mi-voix, accompagnée par le prêtre.
Anne ferma les yeux et se mit au travail. L’enfant gémissait, la douleur était forte sans doute, malgré la souplesse de ses articulations encore tendres. Il s’y était certainement habitué et cela la mettait en colère, l’accoutumance qui s’installait et la douleur qui augmentait toujours.
Elle tâta doucement le crâne, testant chaque muscle et les trouvant noués, tendus comme des câbles. Elle passa légèrement sur les épaules, revint s’attarder sous les oreilles. Sous ses mains tendres, les fibres tendues à se rompre se relâchaient doucement, sans à-coup.
Elle termina sans hâte, prenant le temps d’examiner complètement le petit corps. Le prétexte était de réaliser un rite mystique afin de préparer les malades à la présence royale mais il n’était pas inutile de vérifier que les tensions ne se soient pas répandues, causant d’autres déséquilibres plus bas le long de la colonne.
Satisfaite, elle laissa l’enfant reposer. Elle fit signe au prêtre qui l’accompagnait et quitta la tente discrètement. Devant elle, le roi arrivait. Il semblait fatigué mais souriait, heureux. Elle s’apperçut qu’elle le dévisageait comme s’il était l’un de ses malades et se reprit, le saluant d’une révérence pleine de respect.
– Anne, vous semblez fatiguée. Prenez un moment pour vous reposer.
– Oui Sire.
– Celui-ci, était-ce un cas difficile ?
– Non Sire, un simple torticolis au moment de la naissance, c’est très simple à remettre, même après si longtemps.
– Merci Anne.
– Sire… Vous aussi devriez prendre du repos.
Il lui sourit et entra dans la tente où attendaient l’enfant et sa mère. Anne s’attarda un instant, le temps d’entendre les cris de bonheur et de louange lorsque le roi imposa les mains sur le petit malade.
La réputation du roi grandissait et Anne sourit, satisfaite d’être parvenue une fois encore à soulager un des sujets souffrants de son roi, heureuse de l’aider par son talent à devenir un grand monarque aimé de tous.
– Anne !
Elle sursauta, surprise en pleine rêverie. Elle tenta une révérence et chuta lourdement, déséquilibrée.
– Ne vous ai-je pas ordonné du repos ? fit le roi d’un ton gentiment réprobateur.
Il lui offrit son bras et l’aida à se relever.
– Puisque vous ne l’avez pas fait et moi non plus, vous allez vous joindre à moi pour le dîner, décida-t-il.
Elle rougit, consciente que plusieurs dames de la cour seraient capables de tout pour prendre sa place en cet instant. Heureusement la cour était loin et les perfidies de couloir n’avaient pas leur place dans ce recoin perdu du Royaume de France.
– Je veux que vous me contiez une fois encore comment vous opérez cette belle magie. D’ailleurs peut-être pourriez-vous tout simplement m’en faire la démonstration, j’ai une raideur dans la hanche depuis cette chute de cheval.
– Avec joie Sire.
– Appelez moi François ma chère…
Celle-là est pour l’homme qui murmure à l’oreille des os, pour son merveilleux travail avec mes vétérans carapaciques dorsaux et mon sacré sacrum.
Ami, je vous serai éternellement reconnaissante d’avoir su parler à cette première vertèbre dont la rébellion inattendue m’avait menée au bout du rouleau. Je vous salue bien bas – manoeuvre qui, chacun l’aura compris, n’eut pas été possible sans celui à qui elle s’adresse !